L’apithérapie menacée par l’hécatombe des abeilles
Alors que la mortalité des colonies pourrait tripler d’ici le printemps, les cosmétiques au miel surfent sur un marché de 1,2 milliard d’euros. Une équation intenable qui interroge l’avenir des soins de beauté naturels.
Les abeilles meurent et avec elles, tout un pan de la cosmétique française risque de s’écrouler. Derrière les flacons dorés de crèmes au miel et les savons à la propolis qui envahissent les rayons beauté, se cache une réalité alarmante : le déclin massif des pollinisateurs français met en péril l’approvisionnement d’une industrie en plein essor.
Quand l’or des ruches se raréfie
Dans son laboratoire en Occitanie, l’entreprise Propolia transforme depuis 45 ans les trésors de la ruche en cosmétiques certifiés bio. Miel, propolis, gelée royale, pollen : chaque substance possède ses vertus thérapeutiques reconnues. Le miel est naturellement antiseptique, antibactérien, anti-inflammatoire et cicatrisant, expliquent les spécialistes de l’apithérapie. Des produits comme les savon au miel illustrent parfaitement cette tendance vers des soins authentiques. La propolis, cette résine végétale collectée par les abeilles, excelle dans la purification et la cicatrisation. Quant à la gelée royale, elle fait figure de superaliment cosmétique grâce à sa richesse en acides aminés et vitamines.
« En cause : un cocktail dévastateur associant carences alimentaires, parasitisme accru et virus », alerte Philippe Lecompte, apiculteur bio et président du Réseau Biodiversité pour les Abeilles. Sans elles, nos abeilles sont condamnées, résume-t-il en pointant l’urgence de renforcer la biodiversité fonctionnelle.
Cette crise sanitaire des ruches survient au pire moment. En 2025, le marché français des cosmétiques bio a dépassé 1,2 milliard d’euros, avec une croissance annuelle d’environ 7% depuis 2024. Les consommateurs plébiscitent massivement ces alternatives naturelles : 64% des Français préféraient les ingrédients naturels selon une étude Mintel sur les tendances 2025.
L’apithérapie victime de son succès
Cette appétence pour le naturel s’enracine dans une prise de conscience environnementale et sanitaire. Les scandales à répétition sur les perturbateurs endocriniens ont poussé les consommateurs vers des formulations plus sûres. L’apithérapie, médecine douce utilisée depuis l’Antiquité, répond parfaitement à cette quête d’authenticité.
Un kinésithérapeute parisien que nous avons rencontré témoigne : « Mes patients me demandent de plus en plus des alternatives naturelles. Le miel de Manuka pour les plaies, la propolis pour les inflammations… Ils veulent du concret, du prouvé. » Cette demande s’étend aux cosmétiques, où les actifs apicoles promettent une beauté sans compromis.
Pourtant, l’équation devient intenable. Le taux de mortalité des colonies d’abeilles domestiques en France est aujourd’hui estimé entre 20 et 30% par an, deux fois plus que la mortalité naturelle, selon l’INRAE, l’institut de recherche agronomique. Les causes ? Un faisceau de pressions convergentes : pesticides, parasites comme le varroa, virus, changement climatique et disparition des habitats naturels.
La recherche française mobilisée
Face à cette urgence, la recherche française monte au créneau. L’INRAE vient d’inaugurer un nouveau laboratoire de 528 m² dédié à la santé des abeilles à Avignon, financé à hauteur de 3 millions d’euros par la région Sud. En France, 72,2% des espèces cultivées pour l’alimentation humaine présentent une dépendance plus ou moins forte à l’action des insectes pollinisateurs.
Une apicultrice bio de la Drôme que nous avons interrogée résume l’enjeu : « Mes ruches produisaient 30 kilos de miel par an il y a dix ans. Aujourd’hui, c’est 15 kilos dans les bonnes années. » Cette baisse de rendement se répercute directement sur les prix des matières premières cosmétiques.
Les entreprises d’apithérapie tentent de s’adapter. Diversification des sources d’approvisionnement, partenariats avec des apiculteurs bio, investissements dans la recherche : toutes les stratégies sont explorées pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement.
Entre innovation et préservation
L’avenir de l’apithérapie cosmétique se joue maintenant. Sur la base des données actuellement disponibles, on estime que 9% des espèces d’abeilles sauvages sont menacées en Europe. Un pourcentage qui ne cesse de grimper, alimentant les inquiétudes des industriels.
Certaines marques misent sur l’innovation. Extraction de principes actifs à partir de quantités moindres de matières premières, formulations hybrides associant apithérapie et autres actifs naturels, développement de l’apiculture urbaine : les pistes se multiplient pour contourner la pénurie annoncée.
Une responsable qualité d’un laboratoire cosmétique français confie : « Nous constituons des stocks stratégiques de propolis et de gelée royale. Les prix ont doublé en trois ans. » Cette tension sur les matières premières pourrait paradoxalement bénéficier aux circuits courts et aux productions françaises, plus traçables mais aussi plus coûteuses.
L’équation reste complexe : comment satisfaire une demande croissante avec des ressources qui s’amenuisent ? La réponse viendra peut-être de la capacité de l’industrie cosmétique à accompagner la préservation des abeilles, transformant contrainte écologique en opportunité business. Car sans pollinisateurs, il n’y aura bientôt plus de cosmétiques au miel qui tiennent leurs promesses.